L’ami dont je vous parlais avait commencé un régime sans glucides fin 2005. Il mangeait beaucoup de légumes mais pas de féculents et presque pas de fruits. Rétrospectivement, on pourrait appeler cela un régime presque nul en glucides. A cette époque, il subissait depuis 12 ans une maladie chronique qui s’aggravait un peu chaque année et qui me paraissait assez mystérieuse. L’adoption d’un régime pauvre en glucides a apporté des changements immédiats : cela a amélioré ce que je reconnaîtrais bien plus tard comme une infection bactérienne chronique (dans certaines parties du corps, pas dans le cerveau) et a aggravé une infection fongique chronique.
En un an environ, il avait développé le scorbut (Une carence sévère en vitamine C entraîne le scorbut). Il m’a fallu un temps embarrassant pour comprendre de quoi il s’agissait. Au moment où j’ai compris ce que c’était, mon ami avait 3 caries ; il avait perdu 11 kilos ; avait développé une diverticulite et une aorte abdominale qui enflait visiblement à chaque battement de cœur ; et avait des blessures cutanées mineures – des éraflures et des égratignures – qui n’avaient pas guéri depuis 6 mois.
Développer le scorbut a été une surprise pour lui, car il mangeait beaucoup de légumes et il prenait une multivitamine contenant 90 mg de vitamine C. Il n’avait jamais eu de signes de carence en vitamine C avant d’adopter un régime pauvre en glucides.
Quatre grammes de vitamine C par jour pendant deux mois ont guéri tous les symptômes du scorbut. Il me faudra encore plusieurs années avant de comprendre les infections, mais cette expérience avec mon ami m’a appris l’importance de la micronutrition. L’expérience m’a persuadé que je devais faire des recherches approfondies sur les régimes alimentaires et la nutrition, particulièrement ce phénomène de régimes sans glucides.
Scorbut avec un régime cétogène
Cette expérience n’est pas unique. Voici un cas que j’ai suivi : l’histoire d’une jeune fille épileptique dont nous tairons le nom et qui suivait un régime sans glucides.
C’était une fillette de 9 ans… diagnostiquée épileptique à l’âge de six mois. Elle a commencé un régime cétogène (sans glucides) en octobre 2013, car ses multiples médicaments antiépileptiques s’avéraient peu efficaces ; en effet, elle avait jusqu’à 12 crises sévères par jour avec des périodes prolongées d’état de mal épileptique non convulsif. Après que le régime sans glucides ait été prescrit, la fréquence des crises a considérablement diminué et il y a eu un certain nombre de longues périodes pendant lesquelles elle n’a eu aucune crise.
Sa mère m’ a raconté que sa fille avait des saignements des gencives depuis le début du mois de septembre 2016 ; elle les a décrits comme étant rouge très foncées, gonflées et saignantes. De plus, elle a expliqué que sa fille avait du sang sec et croustillant en péri-orale. Le dentiste généraliste de la famille avait expliqué que cela était probablement dû à des dents en éruption et lui avait demandé d’utiliser un gel de gluconate de chlorhexidine à 0,2 % et de poursuivre son régime d’hygiène bucco-dentaire habituel ; mais cela n’a eu aucun effet. Environ un mois plus tard, le bras droit de cette pauvre fillette est devenu enflé. On pensait qu’elle avait subi une fracture ou une luxation ; cependant, elle a pu quitter la clinique locale parce qu’il y avait une amélioration clinique et que les radiographies n’ont montré aucune formation de callosités.
Début novembre, elle a inhalé une molaire primaire alors qu’elle se faisait nettoyer les dents. Cela a nécessité une bronchoscopie d’urgence pour la récupérer ; en même temps, les chirurgiens lui ont extrait les dents de lait restantes afin d’éviter une récidive du problème….
À cette époque, un rendez-vous a été pris pour fréquenter une clinique de consultant en dentisterie pédiatrique ; Cependant, cela n’a jamais été respecté car environ trois semaines après les extractions, la fillette a été admise à l’hôpital avec une légère fièvre, des saignements persistants des gencives, un œdème des mains et des pieds et une éruption pétéchiale sur les jambes.
Cette fille mangeait une quantité typique de vitamine C : son apport alimentaire était calculé à 73 mg/jour, bien au-dessus de l’AJR pour les 9-13 ans (45 mg/jour). Pourtant, son taux sanguin n’était que de 0,7 µmol/l. Le scorbut est diagnostiqué à des taux inférieurs à 11 µmol/l.
Les symptômes du scorbut sont suffisamment insidieux pour qu’il soit facile de passer à côté du diagnostic. Dans le cas de notre fillette, il s’est avéré qu’un responsable de la clinique – un jeune médecin en formation – originaire d’Inde a reconnu les symptômes du scorbut. Sinon, les médecins n’auraient peut-être jamais pensé à tester son taux de vitamine C.
Quelle est la cause du scorbut due à une carence en glucides ?
Alors, qu’est-ce qui provoque le développement du scorbut avec les régimes pauvres en glucides, même avec un apport en vitamine C bien supérieur à l’AJR ?
Il semble que ce soit la confluence de deux facteurs :
- Une infection ou un autre stress (par exemple une blessure, un cancer) entraîne l’oxydation de la vitamine C extracellulaire ; et
- Dans le cadre d’un régime pauvre en insuline ou induisant une carence en glutathion, la vitamine C oxydée n’est pas recyclée.
Infection et vitamine C
La réponse immunitaire aux infections génère des espèces réactives de l’oxygène, qui oxydent la vitamine C. L’oxydation élimine un atome d’hydrogène de la vitamine C, le transformant en « acide déhydroascorbique » ou DHAA. Si le DHAA reste dans le sang, il se dégrade avec une demi-vie de 6 minutes. (1)
Les infections peuvent provoquer une carence en vitamine C quel que soit le régime alimentaire. Au cours de la « phase aiguë de réponse » à une infection ou à une blessure, la vitamine C devient souvent déficiente. Voici un joli article dans lequel des médecins français ont interrogé leurs patients hospitalisés pour le scorbut :
Nous avons déterminé le taux sérique d’acide ascorbique (SAAL) et recherché les signes cliniques et biologiques du scorbut chez 184 patients hospitalisés sur une période de 2 mois.
RÉSULTATS : La prévalence de l’hypovitaminose C (déplétion : SAAL<5 mg/l ou déficit : SAAL<2 mg/l) était de 47,3 %. Environ 16,9 % des patients présentaient une carence en vitamine C. Il existait une forte association entre l’hypovitaminose C et la présence d’une réponse en phase aiguë (p = 0,002). (2)
Ainsi, la moitié d’entre eux manquaient au moins de vitamine C et 17 % souffraient d’une carence pure et simple qui, si elle persistait, produirait le scorbut.
Linus a déjà tout fit sur l’importance d’une supplémentation de vitamine C en cas d’infection :
- Combattre les infections virales avec la vitamine C en cas de tolérance intestinale » (3)
- « Un homme néo-zélandais laissé pour mort par des médecins, guéri par la vitamine C » et « Vitamine C vs médecine moderne » (4)
Je pourrais ajouter ici que dans le cas du sepsis, un état inflammatoire extrêmement dangereux provoqué par des infections bactériennes, la vitamine C intraveineuse inverse certains des pires symptômes. (5) Si vous avez un proche qui souffre d’une infection dangereuse, ce n’est peut-être pas une mauvaise idée de lui apporter de la vitamine C.
Dépendance à l’insuline liée au recyclage de la vitamine C
Le DHA (L’acide docosahexaénoïque ou DHA (acronyme de l’anglais DocosaHexaenoic Acid est un acide gras polyinsaturé oméga-3) peut être recyclé en vitamine C, mais uniquement à l’intérieur des cellules.
Pour pénétrer dans les cellules, le DHA doit être transporté par des transporteurs de glucose. GLUT1, GLUT3 et GLUT4 sont les trois transporteurs humains de DHA ; GLUT1 fait l’essentiel du travail (Cette protéine est le principal transporteur du glucose au travers de la barrière hématoencéphalique). (6)
Le transport du DHA est crucial pour le statut cérébral en vitamine C. Il n’y a pas de transport direct de la vitamine C dans le cerveau, mais celui-ci est l’un des tissus de l’organisme les plus dépendants de la vitamine C. Le cerveau dépend entièrement du transport du DHA à partir du sang, médié par GLUT1, pour son apport en vitamine C. Dans le cerveau, le DHA est reconstitué en vitamine C par le glutathion (je passe ici sur les conséquences catastrophiques de la prise de statine, lire ici).
Fournir du DHA aux victimes d’un AVC (du type souris) jusqu’à 3 heures après l’AVC peut réduire le volume endommagé par l’AVC jusqu’à 95 % :
Le DHA (250 mg/kg ou 500 mg/kg) administré 3 heures après l’ischémie a réduit le volume de l’infarctus de 6 à 9 fois, à seulement 5 % avec la dose de DHA la plus élevée (P < 0,05). (7)
Il s’agit d’un rappel fascinant de l’importance de la vitamine C pour la réparation des plaies et la protection contre les blessures.
Les transporteurs de glucose sont activés par l’insuline. Ainsi, l’importation de DHA dans les cellules est augmentée par l’insuline, conduisant à un recyclage plus efficace de la vitamine C (8).
Confirmant le rôle de l’insuline dans la promotion du recyclage de la vitamine C, les diabétiques de type I (qui manquent d’insuline) ont des taux sanguins plus faibles de vitamine C, des taux sanguins plus élevés de DHA, une perte urinaire accrue de métabolites de la vitamine C et un plus grand besoin en vitamine C alimentaire. (9, 10)
Nous disposons désormais d’un mécanisme par lequel les régimes sans glucides réduisent le recyclage de la vitamine C : en abaissant les niveaux d’insuline, ils inhibent le transport du DHA dans les cellules, empêchant ainsi son recyclage en vitamine C. Au lieu de cela, le DHA est dégradé et excrété. En conséquence, l’organisme perd de la vitamine C.
Recyclage du glutathion et de la vitamine C
Une fois à l’intérieur de la cellule, le DHA est recyclé en ascorbate, principalement par le glutathion présent dans les mitochondries :
Le déhydroascorbate, la forme entièrement oxydée de la vitamine C, est réduit spontanément par le glutathion, ainsi que par voie enzymatique lors de réactions utilisant le glutathion ou le NADPH. (11)
Un transporteur GLUT1 sur la membrane mitochondriale est nécessaire pour amener le DHA dans les mitochondries, ce qui pourrait éventuellement compenser l’effet de l’insuline sur le recyclage de la vitamine C.
Puisque le glutathion recycle la vitamine C, la carence en glutathion est une autre cause possible de carence en vitamine C.
Le glutathion est recyclé par l’enzyme glutathion peroxydase, une enzyme contenant du sélénium dont l’abondance est sensible au statut en sélénium. L’une des difficultés des régimes sans glucides est qu’ils semblent épuiser les niveaux de sélénium.
La carence en sélénium est un effet secondaire courant des régimes cétogènes (sans glucides). Certains enfants épileptiques soumis à un régime cétogène (sans glucides) sont morts d’une carence en sélénium ! (12)
Nous avons donc ici un deuxième mécanisme contribuant au développement du scorbut avec un régime sans glucides. Le régime alimentaire sans glucides produit une carence en sélénium, qui produit une carence en glutathion, qui empêche le recyclage du DHAA en vitamine C, ce qui entraîne une dégradation du DHAA et une perte permanente de vitamine C.
Conclusion
Les personnes suivant un régime sans glucides courent un risque élevé de carence en vitamine C, en glutathion et en sélénium. Toute personne suivant un régime sans glucides devrait y remédier par une supplémentation.
Ces carences sont exacerbées par des taux d’insuline chroniquement bas. L’insuline aide à recycler la vitamine C, qui soutient le statut en glutathion. Le manque d’insuline augmente la dégradation et la perte de vitamine C.
L’incapacité du corps à recycler efficacement la vitamine C et à maintenir des réserves d’antioxydants avec un régime sans glucides est la preuve d’une inadaptation évolutive au régime sans glucides.
Il n’y avait aucune raison pour que nos ancêtres se soient adaptés à un régime sans glucides ; après, tout ce qu’ils mangent, c’est des féculents depuis au moins 2 millions d’années. Cela semble risqué d’essayer de vivre de cette façon, sans glucides.
Les références
(1) « Déhydroascorbate », Wikipédia, http://en.wikipedia.org/wiki/Dehydroascorbate .
(2) Fain O et al. Hypovitaminose C chez les patients hospitalisés. Eur J Interne Med . 2003 novembre;14(7):419-425. http://pmid.us/14614974 .
(3) https://lpi.oregonstate.edu/mic/vitamins/vitamin-C
(4) “Indictment of Our Medical Profession,” New Zealand Conservative, http://nzconservative.blogspot.com/2010/08/indictment-of-our-medical-profession.html; hat tip to Jewel at http://health.groups.yahoo.com/group/infection-cortisol/message/1760.
(5) Tyml K et al. Le bolus d’ascorbate retardé protège contre la mauvaise répartition du flux sanguin microvasculaire dans le muscle squelettique septique du rat. Soins critiques Med . Août 2005;33(8):1823-8. http://pmid.us/16096461 .
(6) Rivas CI et al. Transporteurs de vitamine C. J Physiol Biochem . décembre 2008;64(4):357-75. http://pmid.us/19391462 .
(7) Huang J et coll. L’acide déhydroascorbique, une forme transportable de vitamine C dans la barrière hémato-encéphalique, assure une puissante cérébroprotection lors d’accidents vasculaires cérébraux expérimentaux. Proc Natl Acad Sci USA . 25 septembre 2001;98(20):11720-4. http://pmid.us/11573006 .
(8) Qutob S et coll. L’insuline stimule le recyclage de la vitamine C et l’accumulation d’ascorbate dans les cellules ostéoblastiques. Endocrinologie . 1998 janvier ; 139(1) :51-6. http://pmid.us/9421397 .
(9) Will JC , Byers T. Le diabète sucré augmente-t-il les besoins en vitamine C ? Nutr Rev. 1996 juillet;54(7):193-202. http://pmid.us/8918139 .
(10) Seghieri G et al. Excrétion rénale de l’acide ascorbique dans le diabète sucré insulino-dépendant. Int J Vitam Nutr Res. 1994;64(2):119-24. http://pmid.us/7960490 .
(11) Linster CL, Van Schaftingen E. Vitamine C. Biosynthèse, recyclage et dégradation chez les mammifères. FEBS J. 2007 janvier;274(1):1-22. http://pmid.us/17222174 .
(12) Banque IM et al. Mort subite d’origine cardiaque en association avec le régime cétogène. Pédiatre Neurol. décembre 2008 ; 39(6) : 429-31. http://pmid.us/19027591 . (Chapeau, Dr Deans .)